Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

#9 Critique ciné : La Mort de Staline (2018)

Publié le par Pauline Bérard

"Le roi est mort. Vive le roi." Expression qui illustre la thèse de Kantorowicz (Les deux Corps du Roi). Expression qui vient aussi souligner avec perspicacité le deuxième film de Iannucci avec sa satire politique sur fond communiste. Avant toute considération, mettez-vous donc dans l'ambiance : Staline, Petit Père des Peuples vient de mourir. Vous vous retrouvez avec son cabinet gouvernemental dans ce lieu tragique. On vous pose ainsi la colle suivante : "Qui va succéder à ce tyran d'exception? Vous avez 2h." Et oui, à l'heure des dystopies, voici ENCORE un film sur la dictature (et cette fois il ne s'agit pas de la présenter comme un régime "où les gens sont communistes, déjà, (où) ils ont froid, avec des chapeaux gris, et des chaussures à fermeture éclaire" (OSS 117 fans react only)!).

La Mort de Staline redonne-t-il (elle?) vie au totalitarisme ?

Une originalité dans le propos : le régime soviétique en UNE scène de crime?

Régime autoritaire et cinéma rime souvent avec tragique, pathétique et violence. Et à juste titre. Aussi, sommes-nous habitués à voir cohabiter Gestapo, SS, goulag et camps d'extermination. La brutalité et la Terreur sont de manière générale inhérentes à ces grosses productions cinématographique à visées mémorielles et cathartiques. Ces chefs d'oeuvre sont évidemment tout à fait louables; ceci-dit, la tendance actuelle tend à multiplier les dystopies à la Orwell (ce que je rappelais dans ma critique précédente sur l'Île aux chiens d'ailleurs). Avec son film, Iannucci rompt avec ces codes en proposant une comédie burlesque se concentrant sur une période souvent traitée rapidement ou en tant que point de basculement d'une scène à l'autre  : la mort de Staline. La satire se résume à la période restreinte entre l'agonie du tyran et sa succession. Nous assistons ainsi à une passation de pouvoir plutôt imprévue et assez sanglante. Une véritable originalité encore, celle de rester dans les "coulisses du pouvoir": la caméra se contente de filmer les hommes politiques et souligne cette déconnexion avec la réalité, cette inconscience bureaucratique et ses décisions inhumaines. L'unité de lieu (l'intérieur des institutions russes et des appartements staliniens) en témoigne. Aussi, présenter un régime totalitaire de cette manière éveille notre curiosité et sans en prendre conscience, nous nous retrouvons déjà sur Facebook afin de valider ou rejeter Fake News ou informations réelles, car oui, le film est inspiré de faits réels et c'est ce qui le rend encore plus fou.

Un théâtre de l'absurde?

Si nous sommes dans des coulisses, les acteurs, eux, nous font une scène. Comédie burlesque osée, La Mort de Staline est un film profondément théâtral. Les couleurs avec les drapés pourpres d'ajoutent à des tirades teintées d'une absurdité jubilatoire. De même, se multiplient les comiques. Comique de gestes d'abord avec les mouvements absurdes : les entrées des personnages sont justes merveilleusement drôles; les ralentis soulignent la caractère parodique et la bêtise des hommes politiques  (nous retiendrons bien sûr l'entrée du magnifique Georgy Zhukov interprété par Jason Isaac). Comique de situation ensuite; la mort de Staline est stupide, et les personnages d'une bouffonnerie jouissive se retrouvent dans des situations loufoques. Comique de mots enfin; l'humour est anglais, les jeux de mots sont donc au rendez-vous. Les acteurs sont presque dignes de la commedia dell'arte incarnant à leur tour le calculateur (Krouchtchev), le psychopathe (Berria), le militaire (Zhukov), le fou (fils de Staline) et ceux ne sont que des exemples. 

Une performance shakespearienne 

Nikita Khrouchtchev, Lavrenti Beria, Gueorgui Malnekiv et Viatcheslav Molotov : s'ils sont tous déterminés à s'emparer du pouvoir à barbe (ou plutôt moustache) de ce cher Joseph, ils sont surtout interprétés avec brio et brossés au vitriol. En une phrase, le jeu d'acteur, tout simplement très bon, est digne d'une excellente pièce. Les caractères de chacun sont vraiment identifiables et les artistes se prêtent au jeu n'hésitant pas à parodier les personnages historiques jusqu'au bout. Avec la conquête du pouvoir et la multiplication des trahisons, la mort de Staline résonne avec le théâtre de Shakespeare! N'oublions pas non plus que le film est inspiré d'une bande dessiné ce qui explique son trait singulier! Tandis que les sourires sonnent faux, les ambitions s'exaspèrent et les spectateurs s'en divertissent : qui aura donc "la chance" d'accéder au merveilleux poste de Secrétaire Général du Parti? Réponse, chers lecteurs adeptes de bulles griffonnées ou spectateurs, dans quelques coups de crayons et/ou dans quelques minutes de captation!

Un renouvellement de genre qui va trop loin?

Rire c'est bien mais rire de tout est-ce possible? Certains reprocheront au film d'aller trop dans la parodie qui risquerait de nous faire rire jaune. Pour d'autres c'est la langue anglaise qui viendrait dénaturer et décrédibiliser le propos (impossible d'associer la sonorité britannique avec la rusticité de l'est soviétique, quel calomnie!). Pour les détracteurs de cet argumentaire affirment que l'usage de l'anglais sied parfaitement à l'humour et permet une homogénéité stylistique. Enfin, en langue anglaise ou pas, l'humour ne plaît pas à tout le monde et il est possible de sortir un peu dubitatif de ce film ne sachant pas s'il a été vraiment drôle ou qu'il nous a à la longue ennuyé. La première partie surprend et permet de capter l'attention mais malheureusement certaines scènes s'éternisent en longueur et fait perdre au film sa dynamique qui s'épuise dans un humour qui parfois, s'avère naïf et frivole.